Récits ferroviaires – La magistrature

 

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lls parlent haut et fort. Tout le wagon peut profiter de leur conversation, comme c’est souvent le cas des sourds ou des gens à qui la naissance a conféré allez savoir quel sentiment de leur importance.
Ils sont deux : un homme et une femme. C’est l’homme qui parle le plus fort. Si elle garde une certaine hauteur de voix, c’est pour ne pas se désolidariser d’avec son compagnon. Ils ne sont pas seuls, ils forment un groupe. Un organisateur qui a « tout prévu » leur distribue des tickets de métro pour l’arrivée à Paris. Ils n’ont pas eu le temps d’acheter Le Monde . On ne met pas beaucoup de temps à savoir qu’ils vont à un congrès de la magistrature.
« Tiens… Tu n’as pas siégé au procès de cette Leila…  » Elle confirme. Elle dit qu’elle n’en est pas mécontente. Cela « m’aurait embarrassée, franchement. » Ils parlent de cette très jeune fille qui a tué l’une de ses copines sauvagement, pour un stupide différend.
Monsieur le Juge se donne quelques secondes de réflexion. Il parle des criminels qui encourraient la peine de mort dans leur propre pays et qu’à cause de lois iniques, la France ne peut extrader. » Nos prisons sont pleines de cette racaille. Ils savent qu’on ne peut pas les extrader parce que si on les renvoie chez eux, ils seront pendus. » La magistrature laisse à chacun le loisir de méditer la pertinence de cette remarque. Il se tait trop peu de temps pour que s’exprime un droit de réponse. ll est clair que sa compagne n’entamera pas ici cette conversation.
Tout à coup :  » Il m’est arrivé un truc ! … » Il la renseigne sur la façon de prendre un billet de train. « Ce n’est pas là où tu es allée ce matin – dit-il – Là, c’est pour les embarquements immédiats. Moi, c’était dans la salle du dessous. Dès en arrivant, tu prends un ticket avec un numéro. Il y a des chaises ou des fauteuils pour t’asseoir en attendant ton tour. Il y a un écran où ton numéro finit par apparaître. C’est là que ça se corse. On te demande un tas de renseignements…  » Il n’en revient pas. L’’attente dans une salle d’attente, avec les autres, tous les autres, n’importe quels autres. Il a dû répondre de ses déplacements,  » Où, quand, comment ?  » Il en est surpris, interloqué. Cette vulnérabilité dans le sort commun le laisse pensif jusqu’à la fin du voyage.

 

 

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