Le code mondain de la jeune fille

 

Les photos originales sont de Lewis Hine, prises dans les années 1910 à l’occasion d’une longue série visant à stigmatiser le travail des enfants..

Les textes sont issus du « Code Mondain de la Jeune Fille », par la Comtesse de Gencé, édité en 1908.

 

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Une jeune fille n’a pas de mérite à être polie, puisque, à ne pas l’être, elle perdrait le meilleur de son charme. La politesse, en effet, ne consiste-t-elle pas surtout à introduire, dans les relations avec le monde, les qualités qui paraissent les plus naturelles à la jeune fille : bienveillance, modestie, discrétion ?

 

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Le vieux principe de la politesse française qui voulait qu’une jeune fille ne sortît jamais seule est aujourd’hui battu en brèche.
On juge, avec quelque raison, qu’à partir de vingt ou vingt et un ans, selon le caractère et le sérieux de la personne, une jeune fille peut faire, sans être accompagnée, des courses en ville, pendant la journée, et des visites intimes.
Il est tout naturel, en effet, qu’une jeune fille en âge de se marier, acquière l’expérience de la rue de façon à ne pas se trouver trop troublée lorsqu’elle aura, étant en ménage, à sortir seule.

 

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La véritable confidente qui peut tout entendre et qui doit tout savoir, c’est votre mère. Elle aura toutes les indulgences pour vous excuser et toutes les ingéniosités pour vous tirer d’incertitude et éloigner de vous les chagrins.

Ne faites pas de confidences aux amies plus jeunes que vous, ni aux messieurs.

 

 

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Grâce au sourire, vous détenez, Mademoiselle, un pouvoir charmant. Il est bien vrai que le monde est attentif au frémissement délicat de vos lèvres et à la flamme qui pétille dans vos yeux. Mais n’oubliez pas que vous disposez du sourire non seulement pour plaire et pour déterminer l’admiration, mais aussi pour gagner l’estime et faire apparaître votre bonté.

 

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Une réunion en appelle une autre, et l’on arrive à se retrouver très souvent en même compagnie chez les unes ou chez les autres, chaque fois que les études laissent quelque répit.
Ce ne sont pas les jeunes amies qui fixent les dates de ces joyeuses rencontres auxquelles on ne s’invite que de vive voix.
Les mamans sont friandes du spectacle que leur procurent ces chambrées souvent bruyantes, et profitent de la moindre occasion pour autoriser leurs filles à convoquer leurs amies.

 

 

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Je n’ose pas vous conseiller de tailler vos robes vous-mêmes : vous pouvez, dans tous les cas, employer votre talent sommaire à la coupe de vos blouses d’été ou d’une petite robe d’intérieur.
Cette fois-ci, je vous conseillerai de ne tenir personne au courant de ces ouvrages manuels. C’est à tort que le monde pourrait déprécier ce que vous faites, mais il faut bien faire quelques concessions au monde, et surtout, à sa manie de désirer à toutes choses une origine orgueilleuse comme à toute robe de ville ou de soirée une signature connue.
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Votre père et votre mère n’ont pas attendu que l’âge fût venu pour vous de songer au mariage pour prodiguer leurs conseils. Chaque fois que l’occasion s’est présentée, ils vous ont fait constater le bonheur d’un ménage ou même les causes d’une misère conjugale.
Vous avez donc une notion générale de ce qu’ils désirent pour vous, puisque vous savez ce qui leur plait.

Partez donc de ce principe pour considérer avec beaucoup de sang-froid les jeunes gens qui évoluent autour de vous et dont vous soupçonnez les prétentions à votre main.

 

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Une jeune fille du monde doit toujours avoir, en très grand nombre, ces blouses de tissu blanc qui lui permettent de paraître sans cesse en toilette d’une fraîcheur impeccable et d’une indéfinie variété.

Ne sortez pas en taille pour les courses en ville. Tout au plus vous permettra-t-on de vous montrer au dehors sans jaquette ni vêtement sur la blouse, pendant les grandes chaleurs et lorsqu’il ne s’agit que de simples promenades. Cette observation concerne aussi les courses du matin que vous devez faire, autant que possible, en costume tailleur.

 

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Dans beaucoup de familles on fête par une réunion de camarades l’anniversaire des enfants. La quinzième année donne même lieu à une fête plus importante où l’on ne vient que dans sa plus jolie toilette.
Lorsque la fête comporte un dîner, ce qui arrive souvent, seuls les jeunes filles et quelques jeunes garçons qui, ni les uns ni les autres, n’ont pas encore fait leur entrée dans le monde, sont conviés à ce repas présidé par le père et la mère ou même par la jeune fille fêtée et son frère.
Les parents viennent ensuite chercher leurs enfants et passer le reste de la soirée avec la bande joyeuse.

 

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La bonne humeur d’une jeune fille doit être plus forte que toutes les petites rancunes, que l’amour-propre blessé, que les déceptions de la jeunesse. C’est, pour beaucoup, le jeunesse même : lorsque la bonne humeur s’en va, on a déjà vieilli.

 

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Les bals destinés à la jeunesse affectent, parfois, un caractère distinctif qui fournit à l’élégance des jeunes filles l’occasion de se manifester avec plus d’art et de raffinement.
C’est le cas des bals blancs et des bals roses, qui ne comportent, comme leur désignation l’indique, que des toilettes et des ornements d’une couleur unique.
Les jeunes filles apporteront alors, à leur tenue, une attention méticuleuse, car il existera nécessairement une sorte de rivalité entre toutes les danseuses dont on appréciera le goût et la distinction.
Il est inutile de répéter que ce seront les toilettes les plus simples qui obtiendront le plus de succès. Il serait dérisoire, surtout à l’occasion d’un bal blanc, qu’une jeune fille s’affublât de tissus précieux.

 

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A dix-huit ans, âge où l’on vous a accordé de vous habiller en grande jeune fille, c’est à dire avec l’uniforme ordinaire des femmes, la robe coupée comme la leur et l’arrangement des cheveux tel que vous le conserverez vraisemblablement – fantaisie à part – toute votre vie, on a commencé à dire, pour peu que vous manquiez de distinction dans vos initiatives d’élégance ou même de mesure dans le choix de vos ornements : Cette jeune fille ne sait pas s’habiller.

 

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Les journaux ne sont pas faits pour les jeunes filles, car la diversité des sujets qu’ils traitent et des renseignements qu’ils donnent ne saurait que leur procurer des impressions ou des préoccupations étrangères à leur vie normale.
Même dans les familles où la politique est un souci journalier, on n’admet pas que la jeune fille commente ni les actes des hommes au pouvoir, ni les chances qu’ils ont d’y rester.
Une jeune fille ne doit pas avoir d’opinion politique. Lorsqu’on lui tient des conversations roulant sur des questions relatives aux affaires publiques, elle ne peut qu’insinuer son ignorance et s’excuser de n’être pas à même de prononcer un jugement.
Il est assez rare, d’ailleurs, que la jeune fille qui, par hasard, lit un journal, accorde son attention aux questions politiques. Elle est plus friande des nouvelles, des échos, des mondanités, et aussi, hélas ! des feuilletons.

 

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Ne soyez pas trop grisée par l’idée que vous allez entrer dans le monde. Et surtout, ne vous montrez pas animée du désir de trop vous montrer. Soyez docile. On vous mènera là où il est utile que vous alliez, mais là seulement. N’oubliez pas que les maisons où entre une jeune fille doivent être exemptes de toute critique, au même titre que les personnes qu’elle fréquente. Il ne faudrait donc pas abuser de la bienveillance de votre mère pour l’entraîner à trop de concessions.

 

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Enfin, lorsque vos parents seront munis de toutes les informations indispensables à leur édification sur le compte du jeune homme qui prétend à votre main, ils vous consulteront à peu près en ces termes :

ma fille, tu es en âge de te marier ; on te trouve agréable. Nous avons songé à assurer ton bonheur. Parmi les jeunes gens que tu connais et dont la situation nous semble le mieux proportionnée à la tienne, nous avons pensé à M. X… Si, après réflexion, ce jeune homme ne te déplaisait pas, nous pourrions donner suite au projet dont il nous a été fait part en son nom.

 

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Vous pouvez avoir vos pauvres, qui sont, généralement, des mères nécessiteuses, des vieillards infirmes. Votre pitié secourable s’étend aussi à quelques misères honteuses, inavouées, vers lesquelles votre mère vous conduit parfois. C’est alors que vous joignez aux petites pièces d’argent économisées, les menus travaux de vos mains destinés à protéger des petits membres contre la rigueur de la saison.

 

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Les parents se font un devoir rigoureux d’éviter aux jeunes filles les spectacles de nature à leur inspirer de la tristesse. C’est ainsi qu’ils ne les conduisent aux cérémonies funèbres que dans les cas où une amitié très étroite les unissait à la personne défunte et seulement lorsque cette dernière est une dame, une jeune fille ou un membre de la famille.
On ne vous fera assister ni aux funérailles d’un ami de votre père, ni à celles d’un jeune homme.

Inclinez-vous devant les personnes du deuil en présence de qui vous vous trouvez et avec lesquelles vous n’avez eu cependant aucune relation antérieure. L’état de leur douleur doit vous fournir une raison suffisante pour leur témoigner des égards et de la sympathie.

 

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Ne permettez pas aux jeunes gens de vous faire des compliments indiscrets. Ils n’ont pas à vous parler de votre toilette et, s’ils s’avisent de le faire, dites leur que votre élégance n’a rien de personnel et que vous ne faites que suivre les conseils que l’on vous donne et porter ce que l’on vous confectionne.
Ne profitez pas du compliment qu’on vous a adressé à propos d’une robe pour remettre cette robe à chaque fois que vous supposez devoir rencontrer la personne qui vous a félicitée. Ce serait lui reconnaître sur vous une autorité dangereuse et lui accorder, pour l’avenir, le droit de se prononcer sur vos moindres gestes.

 

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Même lorsqu’ils vous paraissent d’une parfaite éducation, les jeunes gens qui fréquentent les salles de jeu doivent vous inspirer une aversion systématique. Évitez donc, autant que possible, leur société et leurs invitations à danser.

Écartez vous des jeunes filles qui se font remarquer par leur excentricité ou leur tendance à la coquetterie et qui s’isolent avec des jeunes gens.

Ne donnez jamais l’adresse de vos parents et n’acceptez la carte de visite de personne.

 

 

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Dans la société la plus élégante, on se montre, entre jeunes filles et entre femmes et jeunes filles, les petits ouvrages brodés auxquels on employa de longues heures. On ne se montrerait pas ainsi une aquarelle ni un croquis, mais on n’hésite pas à soumettre au jugement d’une amie le commencement d’un travail au plumetis ou à l’anglaise.

Ne craignez pas, en vous livrant assidûment à ces petits travaux, et en en parlant, de perdre l’estime des gens délicats et élégants. les dames les plus raffinées suivront avec intérêt votre conversation, tâcheront d’en profiter et se feront une joie de vous donner des conseils dont vous n’aurez vous-mêmes qu’à vous féliciter.

 

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Informez-vous du désir des dames, en ce qui concerne les rafraîchissements ou les pâtisseries. Laissez aux jeunes gens le soin de s’occuper des jeunes filles et de vous-même.
Ne vous écartez pas, sous prétexte de camaraderie, avec un groupe de camaraderie, fût-il un autre groupe d’honneur. Vous vous devez à tous, pour le service de la mariée et de sa mère.
Le petit repas terminé, la mariée partie, vous n’avez plus aucun lien avec le garçon d’honneur, à moins que la réunion ne se prolonge par un tour de valse ou même un bal, comme il est encore d’usage dans certaines sociétés.

 

 

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Il faut songer à tout et, comme on a rarement tout le bonheur que l’on mérite, ni surtout tout celui que l’on rêve, il faut songer, à côté des joies que promettent les fiançailles, à la possibilité du déchirement moral qu’occasionnerait la rupture d’un projet de mariage.
Voici deux fiancés qui, entourés du cercle de famille, ont échangé, parmi les fleurs, les compliments, les vœux et les tendresses, des serments d’éternel attachement et que chacun déjà considère comme les époux de demain.
Soudain, la jeune fille qui, la veille encore, ne pouvait de défendre de faire partager sa joie à toutes ses amies, fait connaître au jeune homme, bien entendu par l’intermédiaire de son père, qu’elle lui rend sa parole en même temps qu’elle reprend la sienne.

 

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Soyez fidèle à votre régime de vie. faites toujours la même chose à la même heure. Que l’on puisse compter sur vous. L’exactitude vous rendra chère à vos amies, aussi chère qu’un ponctualité minutieuse et presque fanatique vous rendrait insupportable si vous vous avisiez de juger les manquements à l’ordre et à l’exactitude des gens qui vous entourent.
Vous devez donner l’exemple, mais ne pas vous imposer.
Ne vous faites jamais attendre, ce qui serait l’indice de votre légèreté.

 

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Les jeunes filles ont donc souvent le tort de ne rechercher, dans les expositions de contemporains, que l’art mondain. D’où il suit qu’obligées de justifier leurs goûts, elles se lancent nécessairement dans des considérations artificielles qui étourdissent, autour d’elles, les braves gens, mais désespèrent parfois les esprits délicats.

 

 

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Ai Wei Wei, pavillon de l’Allemagne de la biennale de Venise.

 

 

Il est un mot qui ne doit jamais effleurer les lèvres d’une jeune fille : c’est le mot dot.
Vous n’avez pas à savoir l’importance de votre dot, ni à supposer que c’est votre fortune qui fait convoiter votre main. En cherchant à profiter des avantages aléatoires que la fortune vous a accordés, vous risqueriez de ruinez votre charme. Quelle que soit votre richesse, montrez que vous vous estimez plus qu’elle et qu’en réalité vous valez mieux.
D’ailleurs, si vous n’avez pas de dot, contentez-vous d’aspirer à un mariage sérieux, sans regret à propos de ce que vous n’avez pas, sans envie à l’adresse de vos amies plus favorisées. Avec du cœur ou de l’esprit, on réussit toujours à se créer un capital plus estimable que le numéraire.

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