Extension du domaine de la ruche

 

 

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Doux pays, que de fois ma muse en espérance
Se plut à voyager sous ton ciel toujours pur !
De ta paisible mer, où Vénus prit naissance,
Tantôt du haut des monts je contemplais l’azur,
Tantôt, cachant au jour ma tête ensevelie
Sous tes bosquets hospitaliers,
J’arrêtais vers le soir, dans un bois d’oliviers,
Un vieux pâtre de Thessalie.

« Des dieux de ce vallon contez-moi les secrets,
Berger ; quelle déesse habite ces fontaines ?
Voyez-vous quelquefois les nymphes des forêts
Entr’ouvrir l’écorce des chênes ?
Bacchus vient-il encor féconder vos coteaux ?
Ce gazon que rougit le sang d’un sacrifice,
Est-ce un autel aux dieux des champs et des troupeaux ?
Est-ce le tombeau d’Eurydice ? »

Casimir Delavigne

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Que me veux-tu, chère fleurette,
Aimable et charmant souvenir ?
Demi-morte et demi-coquette,
Jusqu’à moi qui te fait venir ?

Sous ce cachet enveloppée,
Tu viens de faire un long chemin.
Qu’as-tu vu ? que t’a dit la main
Qui sur le buisson t’a coupée ?

N’es-tu qu’une herbe desséchée
Qui vient achever de mourir ?
Ou ton sein, prêt à refleurir,
Renferme-t-il une pensée ?

Ta fleur, hélas ! a la blancheur
De la désolante innocence ;
Mais de la craintive espérance
Ta feuille porte la couleur.

As-tu pour moi quelque message ?
Tu peux parler, je suis discret.
Ta verdure est-elle un secret ?
Ton parfum est-il un langage ?

S’il en est ainsi, parle bas,
Mystérieuse messagère ;
S’il n’en est rien, ne réponds pas ;
Dors sur mon cœur, fraîche et légère…

Musset

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Ayant poussé la porte étroite qui chancelle,
Je me suis promené dans le petit jardin
Qu’éclairait doucement le soleil du matin,
Pailletant chaque fleur d’une humide étincelle.

Rien n’a changé. J’ai tout revu : l’humble tonnelle
De vigne folle avec les chaises de rotin…
Le jet d’eau fait toujours son murmure argentin
Et le vieux tremble sa plainte sempiternelle.

Les roses comme avant palpitent ; comme avant,
Les grands lys orgueilleux se balancent au vent,
Chaque alouette qui va et vient m’est connue.

Même j’ai retrouvé debout la Velléda,
Dont le plâtre s’écaille au bout de l’avenue,
– Grêle, parmi l’odeur fade du réséda.

 

Paul Verlaine

 

 

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Yvonne sérieuse au visage pâlot
A pris du papier blanc et des couleurs à l’eau
Puis rempli ses godets d’eau claire à la cuisine.
Yvonnette aujourd’hui veut peindre. Elle imagine
De quoi serait capable un peintre de sept ans.
Ferait-elle un portrait ? Il faudrait trop de temps
Et puis la ressemblance est un point difficile
À saisir, il vaut mieux peindre de l’immobile
Et parmi l’immobile inclus dans sa raison
Yvonnette a fait choix d’une belle maison
Et la peint toute une heure en enfant douce et sage.
Derrière la maison s’étend un paysage
Paisible comme un front pensif d’enfant heureux,
Un paysage vert avec des monts ocreux.
Or plus haut que le toit d’un rouge de blessure
Monte un ciel de cinabre où nul jour ne s’azure.
Quand j’étais tout petit aux cheveux longs rêvant,
Quand je stellais le ciel de mes ballons d’enfant,
Je peignais comme toi, ma mignonne Yvonnette,
Des paysages verts avec la maisonnette,
Mais au lieu d’un ciel triste et jamais azuré
J’ai peint toujours le ciel très bleu comme le vrai.

 

Guillaume Apollinaire

 

 

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Au moment où Phébus en son char remontait,
Où la lune chassée à grands pas s’enfuyait,
Je voulus faire un peu ma cour à la nature,
Visiter les bosquets tout remplis de verdure,
M’égarer dans les bois et longer les ruisseaux,
Cueillir la violette, écouter les oiseaux.
C’était l’heure où le Dieu sortant de sa demeure
Laissait seule Thétis et fuyait devant l’heure.
Alors le jour naissait, dissipait le sommeil
Et trouvait le chrétien joyeux d’un bon réveil;
Alors le laboureur, plein d’un noble courage,
Allait tout aussitôt reprendre son ouvrage.
Je longeais en silence un mince filet d’eau
Qui coulait doucement sous un ciel pur et beau.
Tantôt il parcourait une plaine fleurie
Et faisait cent détours à travers la prairie,
Et tantôt dans son cours rencontrant un rocher,
Il amassait ses eaux pour se précipiter.

 

Guy de Maupassant

 

 

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Je me penche attendri sur les bois et les eaux,
Rêveur, grand-père aussi des fleurs et des oiseaux ;
J’ai la pitié sacrée et profonde des choses ;
J’empêche les enfants de maltraiter les roses ;
Je dis : N’effarez point la plante et l’animal ;
Riez sans faire peur, jouez sans faire mal.
Jeanne et Georges, fronts purs, prunelles éblouies,
Rayonnent au milieu des fleurs épanouies ;
J’erre, sans le troubler, dans tout ce paradis ;
Je les entends chanter, je songe, et je me dis
Qu’ils sont inattentifs, dans leurs charmants tapages,
Au bruit sombre que font en se tournant les pages
Du mystérieux livre où le sort est écrit,
Et qu’ils sont loin du prêtre et près de Jésus-Christ.

 

Victor Hugo

 

 

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blog7_3_16_MG_1071_DxO

 

Les insectes, les fleurs, les feuilles, les rameaux
Tressent leur vie enveloppante et minuscule
Dans mon village, autour des prés et des closeaux.
Ma petite maison est prise en leurs réseaux.
Souvent, l’après-midi, avant le crépuscule,
De fenêtre en fenêtre, au long du pignon droit,
Ils s’agitent et bruissent jusqu’à mon toit ;
Souvent aussi, quand l’astre aux Occidents recule,
J’entends si fort leur fièvre et leur émoi
Que je me sens vivre, avec mon coeur,
Comme au centre de leur ardeur.

 

Emile Verhaeren

 

 

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blog8_3_15_MG_1077_DxO

 

La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
II est des parfums frais comme des chairs d’enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
— Et d’autres, corrompus, riches et triomphants,
Ayant l’expansion des choses infinies,
Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens,
Qui chantent les transports de l’esprit et des sens.

 

Charles Baudelaire

 

 

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blog9_3_16_MG_2816b

 

L’étang mystérieux, suaire aux blanches moires,
Frisonne; au fond du bois la clairière apparaît ;
Les arbres sont profonds et les branches sont noires ;
Avez-vous vu Vénus à travers la forêt ?

Avez-vous vu Vénus au sommet des collines ?
Vous qui passez dans l’ombre, êtes-vous des amants ?
Les sentiers bruns sont pleins de blanches mousselines;
L’herbe s’éveille et parle aux sépulcres dormants.

Que dit-il, le brin d’herbe ? et que répond la tombe ?
Aimez, vous qui vivez ! on a froid sous les ifs.
Lèvre, cherche la bouche ! aimez-vous ! la nuit tombe;
Soyez heureux pendant que nous sommes pensifs.

Dieu veut qu’on ait aimé. Vivez ! faites envie,
O couples qui passez sous le vert coudrier.
Tout ce que dans la tombe, en sortant de la vie,
On emporta d’amour, on l’emploie à prier.

Les mortes d’aujourd’hui furent jadis les belles.
Le ver luisant dans l’ombre erre avec son flambeau.
Le vent fait tressaillir, au milieu des javelles,
Le brin d’herbe, et Dieu fait tressaillir le tombeau.

La forme d’un toit noir dessine une chaumière;
On entend dans les prés le pas lourd du faucheur;
L’étoile aux cieux, ainsi qu’une fleur de lumière,
Ouvre et fait rayonner sa splendide fraîcheur.

Aimez-vous ! c’est le mois où les fraises sont mûres.
L’ange du soir rêveur, qui flotte dans les vents,
Mêle, en les emportant sur ses ailes obscures,
Les prières des morts aux baisers des vivants.

 

Victor Hugo

 

 

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blog10_3_16_MG_1079

 

 

D’autres, des innocents ou bien des lymphatiques,
Ne trouvent dans les bois que charmes langoureux,
Souffles frais et parfums tièdes. Ils sont heureux !
D’autres s’y sentent pris – rêveurs – d’effrois mystiques.

Ils sont heureux ! Pour moi, nerveux, et qu’un remords
Épouvantableet vague affole sans relâche,
Par les forêts je tremble à la façon d’un lâche
Qui craindrait une embûche ou qui verrait des morts.

Ces grands rameaux jamais apaisés, comme l’onde,
D’où tombe un noir silence avec une ombre encore
Plus noire, tout ce morne et sinistre décor
Me remplit d’une horreur triviale et profonde.

 

Verlaine

 

 

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blog11_3_16_MG_8840b

 

Le sol trempé se gerce aux froidures premières,
La neige blanche essaime au loin ses duvets blancs,
Et met, au bord des toits et des chaumes branlants,
Des coussinets de laine irisés de lumières.

Passent dans les champs nus les plaintes coutumières,
A travers le désert des silences dolents,
Où de grands corbeaux lourds abattent leurs vols lents
Et s’en viennent de faim rôder près des chaumières.

Mais depuis que le ciel de gris s’était couvert,
Dans la ferme riait une gaieté d’hiver,
On s’assemblait en rond autour du foyer rouge,

Et l’amour s’éveillait, le soir, de gars à gouge,
Au bouillonnement gras et siffleur, du brassin
Qui grouillait, comme un ventre, en son chaudron d’airain.

 

Emile Verhaeren

 

 

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blog12_3_16_MG_8846b

 

 

Au jardin des cyprès je filais en rêvant,
Suivant longtemps des yeux les flocons que le vent
Prenait à ma quenouille, ou bien par les allées
Jusqu’au bassin mourant que pleurent les saulaies
Je marchais à pas lents, m’arrêtant aux jasmins,
Me grisant du parfum des lys, tendant les mains
Vers les iris fées gardés par les grenouilles.
Et pour moi les cyprès n’étaient que des quenouilles,
Et mon jardin, un monde où je vivais exprès
Pour y filer un jour les éternels cyprès.

 

Guillaume Apollinaire

 

 

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