Paysages excessifs

La Bretagne…

Les couleurs, les formes, les odeurs, tout infirme l’image de terre noire rincée du matin au soir par une eau dissolvante. Chaque jour est un bonheur de photographe.

Les photos sont pour la plupart accompagnées de textes de poètes « bretons », si ceci a un sens…

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Vagabond d’un paysage à l’autre, d’un objet à l’autre. O mes yeux vagabonds !

peut-on vous appeler vagabonds, puisque vous n’avez vu que Dieu, ô mon Dieu fixe, compagnon, tu n’as qu’un compagnon. Voyageur, tu es immobile comme l’aiguille de la boussole.

Max Jacob

 

 

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La nuit primitive

qui s’élève de la terre noire,

et la lumière des premiers hommes

au-dessus de la baie immuable.

Une seule pierre déplacée

et l’arc-en-ciel des silex s’effondre,

une seule pierre ajoutée

et tout le promontoire gronde.

 

Gérard Le Gouic

 

 

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Ainsi consentons-nous à la parole du vent; à cette lumière fragile que hisse notre langage. Et qui s’inquiète de tant de vide comme le soleil surpris de n’éclairer qu’un gouffre. O terres que ne venez-vous pas, et l’océan avec vous? Nous savons que ces eaux-là se fomentent sur le sable, que même l’absence est créatrice. Et les herbes. Notre silence.

 

Michel Dugué

 

 

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Ma belle amie sur la grève allongée
comme moi désire la mer
laisse-toi chavirer sous le vent des navires
dans la laine fragile des pluies
je te prendrai encore
tes bras ruisselant de désirs
serreront la bruyère de mes veines

 

Xavier Grall

 

 

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Ma mère

Elle est assise
dans ses quarante kilos
devant la mer

vaste
comme les questions
qu’elle se pose

j’imagine
devant la mort.

Elle est assise
sous ses yeux
et sous le ciel

ses yeux regardent
et gardent ce qu’ils regardent

dans sa main
qu’elle dépliera de l’autre côté

comme un enfant montre ses billes
au soleil

et à ses copains.

Elle entraine ses yeux
à l’horizon

elle s’entraine
au point de non retour.

Assise
dans ses quarante kilos
dans ses quatre-vingt-deux ans

elle vérifie une dernière fois
le tour de la terre
par la mer

avec ses yeux
elle marche sur l’eau.

Elle cogne à l’horizon
pour ouvrir
à la mer

la porte du ciel.

Elle se prépare
pour être la première
le dernier jour.

Yvon Le Men

 

 

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depuis le jour de ma naissance
spolié de tous mes biens spolié de mes yeux de mes pores de mes os et
de mes mains
on a volé mon pain
on a arraché la langue maternelle de mon palais d’enfant
et ravit tous les noms familiers
le nom merveilleux du chat celui du chien les mots taupinière gouvernail
et cerisier en fleurs
le nom palpitant de mes pères disparus
depuis le jour de ma naissance
à la porte de moi-même
à la recherche des grandes cheminées des barques pourries à la remise
et du tison sur l’enclume
aimant traverser les ponts penchés sur les moulins
depuis le jour de ma naissance
vidé de ma propre substance
dépossédé de mes veines et de mon sang
doublé par un étranger
moi-même

 

– lorsque s’effondrent les bûches dans l’âtre brun
j’aime qu’on frappe à ma porte le glas de la réalité –

 

mon pays vagabonde transparent dans le miroir des golfes tissés de sel
mon pays s’incruste le long du chemin de fer et dans le sillage des
villages ridés
les oiseaux coulent entre ses doigts les averses de pluie le scient au passage
et les vols de canards sauvages le traversent de part en part
mon pays m’aveugle et m’étouffe dans ses milliers bras

 

Paol Keineg

 

 

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…Nous entendons la journée
qui passe
et se ferme dans les mots

L’air n’a plus de portée
On étend la main
sans étendre le jour

Comment voir la route
qui se détourne
où nous attendions
la poussière sans le regret

Vent qui n’a ni la face
ni le dos

Le mur du fond s’incline
dans le sommeil

Sur le seuil descend un nuage
où reste du sable
pour finir le temps.

Georges Drano

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Nous, les Bretons de l’hiver,
des nuages gris et verts comme les chats,
de la pluie qui court avec nos chiens,
du vent, du sel qui mordent les tombes,

nous, les Bretons des mois durs
qui enterrons un poète à Tréboul,
un oiseau à Portsall,
un reflet de nous dans chaque arbre qui meurt
et qui ne mourons pas nous-mêmes,
qui ne pleurons pas.

Et qui ne pleurons pas quand la foudre
crève le placenta bleu des collines,
quand les araignées de la rouille
font tomber un volet, un toit,
une amitié plus solaire qu’un amour,

et qui ne mourons pas quand un cheval
s’enfonce dans sa nuit d’un pas égal
qui fait croire que sa vie
aussi lui fut égale…

Gérard Le Gouic

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Fi du doute de soi et de la désespérance de surmonter. Toujours braque et buté. Toujours poursuivre, sans pleurnicher ni s’appesantir sur son sort, ni spolier d’un ou deux degrés le cap qu’on s’est fixé. Plus sûr d’étaler l’adversité bout à la lame qu’en fuite ou à la chole. Quoi qu’il arrive, toujours poursuivre et sans se retourner sur quelque souvenance de bien-être terrien qui ferait ployer la ténacité, s’étioler les forces rageuses et le furieux désir de s’en tirer.

 

Alain Jégou

 

 

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Je veux chanter la joie étonnement lucide
D’un pays plat barricadé d’étranges pommiers à cidre
Voici que je dispose ma lyre comme une échelle à poule contre le ciel
Et que des paysans viennent voir ce miracle
D’un homme qui grimpe après les voyelles…

René Guy Cadou

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Dans le cimetière de Woodlawn
Au nord du Bronx
Où reposent Melville, Elisabeth Shaw
Et leur fils Malcom qui se donna la mort à 18 ans –
Jusqu’au jour de la résurection des corps –
Une tombe. Un parchemin vide. Une pierre blanche.
Nous errons comme des ombres,
Trois amis parmi 300 000 morts
Enterrés sous la pelouse ombragée.
Dans le cimetière de Woodlawn.
Nous cherchons notre ombre.
Les morts agressent moins que les vivants.
Ici nous cherchons notre tombe.
Temples grecs, obélisques, temples
Avec des chiens chinois.
Sur les statues un cardinal passe.

 

Jean-Claude Caër

 

 

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Les murs
craignent
la fringale des ronces

 

les fenêtres
se méfient
des caresses de la rouille

 

le lierre
roucoule d’oiseaux

 

impatient
d’étendre sa puissance
de convertir l’espace

 

les toits
resserrent leurs tuiles

 

les chemins
se résignent
sous les averses de fougères.

Alain Le Beuze

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Il faut marcher pour se calmer le sang
Il faut tourner pour se croire au manège
Il faut aimer pour comprendre la neige
Il faut partir pour n’être pas absent
Belle banquise ouverte à la chimère
Chaste refuge et tentation polaire
Je fais un voeu, j’agite mon mouchoir
À l’horizon d’amour s’ouvre la mer
Adieu n’est pas le mot que je préfère
Pourtant je dois porter mon scapulaire
Jusqu’au pays de mon prochain départ.

 

Charles Le Quintrec

 

 

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Ainsi va le temps. La saison revient, la mer revient, le vent tourne, les oiseaux partent et reviennent. Le temps coule, porosité sableuse, fuite immobile. Qui a vu passer le temps ? Est-il tranquille, inquiet, s’arrête t-il ou bien suit-il toujours son cours imperturbable ? S’arrête t-il pour respirer l’air iodé sur la mer éclatante et jeune ? S’enroule t-il sur lui-même ? Mais les astres s’éloignent, le temps s’évanouit dans l’espace, l’épine noire se revêt de splendeur immaculée près des ajoncs au-dessus de l’écume. Le temps ne s’écoule pas. Il passe très loin, très vite : nous restons immobiles, tournant dans nos routines.

René Le Corre

 

 

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je suis un enfant de l’hiver
que vent mauvais jamais n’atteint
mais qui sur les cendres d’hier
souffle déjà tôt le matin

bravant le temps qui me veut taire
et ces esprits par trop chagrins
je suis un enfant de l’hiver
que vent mauvais jamais n’atteint

mon seul désir en bandoulière
je continue sur ce chemin
voulant croire que sur la terre
il est toujours un lendemain
je suis un enfant de l’hiver
que vent mauvais jamais n’atteint

Jean-Luc Aotret

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Me faut de l’espace

Du temps du désir

De l’oubli de la foule

De la flamme de l’eau

Du fleuve me faut

Du courant d’air

Du bleu de terre

Des branches nues

Du souffle me faut

Des rêves des raisons

Du silence de la folie

Du jamais entendu

Me faut de l’espace
Du temps du désir
De l’oubli de la foule
De la flamme de l’eau

Du fleuve me faut
Du courant d’air
Du bleu de terre
Des branches nues
Du souffle me faut

Des rêves des raisons
Du silence de la folie

Du jamais entendu

Me faut de l’espace

Du temps du désir
De l’oubli de la foule
De la flamme de l’eau

Du fleuve me faut
Du courant d’air

Du bleu de terre
Des branches nues

Du souffle me faut
Des rêves des raisons
Du silence de la folie

Du jamais entendu

Marc Baron

 

 

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Maintenant je suis un poète sans substance. Je relis de vieux textes dans le silence d’émotions mortes. Je suis un homme âgé qui ne sait plus quoi écrire et que la création seule justifiait. L’enthousiasme ne s’invente pas. Des tempêtes ont abattu ce qu’il y avait à briser en moi. Je vis dehors. Je vais au-devant de je ne sais quoi, une rencontre, comme au début, lorsque j’attendais tout et que ce fut la vie qui vint.

Guy_Bellay

 

 

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L’île son regard noir

Se tasse au fond de grève

 

Des murs drossés au vent

Où l’océan hulule

 

Les lambeaux de la roche

Dans le creux de ses houles

 

Au bas de la nuée

L’île sous la douleur.

 

Jean-Pierre Boulic

 

 

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La mémoire c’est long à lire
surtout dans les fissures
les fêlures
tu piétines
mais ce que tu caches t’éclaire
et la terre marche avec toi
la poésie aussi
même en lune noire
dans l’immobile
quand l’océan colle au ciel.

Au final c’est toujours toi l’énigme.

 

Guénane Cade

 

 

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Désormais je pose blessé près du totem de Bill Reid à Skidegate.
Je ramasse une plume d’aigle parmi les tombes anciennes
Le marin Watson mort en 1899
Stèle ornée d’un goéland.
Jane Shakespeare morte en 1904, 70 ans,
Un petit ours.
Tom Stephens, mort en 1902, 65 ans,
Un ours noir.
Chief Skidegate, mort en 1902,
Sans nom, du clan du Corbeau.

 

Jean-Claude Caër

 

 

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Très bien ici — le port — la rivière —

Petite ville —

Toujours lentement le même temps.

 

Danielle Collobert

 

 

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Pas tout à fait prêt
je diffère le seul vrai périple
au long cours
Joindre les deux pieds
pour le grand saut
Joindre à l’infini
quatre planches
à claires-voies
autour de mon espace vital

 

Olivier Cousin

 

 

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Le ciel passait
Par dessus les murs
Des jardins.
Chacun découpait
Son drap du jour
L’air fut bruissant d’anges
Mitoyens.
Des autres
J’avais connaissance
Par le ciel.

 

Heather Dohollau

 

 

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L’averse engloutirait la nuit perdue sourde
au ciel en loques un débris d’étoiles
grelotterait quelques watts
la mer serait l’essart là-bas tout près sauvage

en vain les nuages en pagaille
jetteraient leurs ombres sur les collines noires
le vent qui manque étrangement herserait
les vallées fruitières déjà bleues

l’homme l’inévitable est entré
côté jardin s’affuble tousse
faxe scanne télexe se reficelle
crispe sa fressure
chante bègue (on ne sait quoi)
« pelotonné s’éloigne côté cour.

 

Henri Droguet

 

 

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Je suis née de la mer et ne le savais plus
Mais l’homme au bras marin me parla de l’écume
Et l’humus des forêts fut le sable des dunes
Et les bergers laissant leurs troupeaux de moutons
Au premier loup venu gardèrent des poissons
Le nez du sanglier fouilla le goémon
La biche apprivoisa chaque lame de fond
Et les désirs des fûts chantèrent un navire
Que les oiseaux pêcheurs voilèrent sans rien dire
De leurs ailes tendues à des ciels inconnus.

Angèle Vannier

 

 

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Mon amante a les vertus de l’eau : un sourire clair, des gestes
coulants, une voix pure et chantant goutte à goutte.

Et quand parfois, malgré moi – du feu passe dans mon regard,
elle sait comment on l’attise en frémissant : eau jetée sur les
charbons rouges.

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Mon eau vive, la voici répandue, toute, sur la terre ! Elle glisse,
elle me fuit ; – et j’ai soif, et je cours après elle.

De mes mains je fais une coupe. De mes deux mains je l’étanche
avec ivresse, je l’étreins, je la porte à mes lèvres :

Et j’avale une poignée de boue.

 

Victor Segalen

 

 

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Je vous viens d’un pays en dedans des souffrances
Où je dois me créer grâce à mes créatures;
J’y possède depuis mon premier souvenir
Un cheval immobile qui mâche de biais
Son trèfle et j’y possède ce trèfle qui lui tire
En gamin sur les dents pour être enfin mangé.

 

Armand Robin

 

 

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Viens encore une fois
Te consacrer caillou

Sur la table dans la lumière
Qui te convient,

Regardons-nous
Comme si c’était
Pour ne jamais finir.

Nous aurons mis dans l’air
De la lenteur qui restera.

 

Eugène Guillevic

 

 

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