La pluie épaisse et noire accablait les quais du RER.
Ma valise m’encombrait. Il s’est penché, l’a empoignée et l’a calée entre nous contre la fenêtre. Un regard. Un sourire. « Merci ! » Il y avait encore de la place. Il n’avait fait qu’anticiper la foule qui allait suivre.
Un couple a occupé les banquettes. La femme à côté de lui. L’homme à côté de moi. C’était l’heure du retour chez soi. Ou de la sortie du samedi soir. Ce soir d’hiver, sous la pluie.
Le couple échangeait dans une langue qui m’était étrangère.
Il m’observait à la dérobée. Une peau de miel. Des yeux vifs. Une très belle jeunesse, douce et tranquille.
Son i-phone a vibré. Il a décroché à voix basse. Lui aussi parlait une langue très étrangère. Non identifiable. J’ai remarqué sa bague. Une pierre orange sertie dans un métal argenté. J’ai remarqué sa montre. Un véritable tableau de bord avec plusieurs cadrans. Je me suis demandée à quoi pouvaient servir autant d’informations. J’ai décidé qu’il était afghan. Venu faire des études en France. Qu’il avait peut-être été traducteur pour les armées d’occupation. Et qu’il avait fui à temps avant le départ des troupes « alliées ». Un cadran sur sa montre restait là-bas…
Dans la rame, personne ne parlait la même langue. Sans insistance, sans regard pesant, il me regardait regarder. Personne, ce jour-là, n’était indifférent à la personne en face de soi. Les mots soudain manquèrent. J’aurais pu dire, la pluie … La pluie sur le sol. La pluie sur la vitre. On ne pouvait pas parler de la pluie. Chaque regard dérobé révélait que rien n’était dit.
Ma valise a glissé vers lui. Je me suis empressée de la retenir. Il a dit : « Ce n’est pas grave ! » et son regard appuyé martelait : « Ce n’est pas grave ! ». J’ai l’esprit d’escalier. Rien ne venait. « Ce n’est pas grave ! » a t’il répété et sa voix était lente et lasse. C’est tout ce que j’ai trouvé : « Non, vraiment… Ce n’est pas grave ! »
Le 9 janvier 2015
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Récits Ferroviaires s’achève aujourd’hui. Trajets pluvieux et fin d’hiver.