Requiem

 

blog22_11_15_MG_0032c

 

 

Ne crois pas le monde une jungle – créée
Pour les loups, les renards, rapine et duperie,
Le ciel – rideau tiré afin que Dieu ne voie rien,
La brume – afin qu’au mur nul regard ne te fixe,
Le vent – pour étouffer les plus farouches cris,
La terre pour lécher le sang des innocents,
Ô ne crois pas le monde une jungle !

Itzhak-Leibush Peretz

 

 

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blog23_11_15_MG_0034b

 

 

Le libre esprit, la bonne humeur, l’élan
Vers la lutte, voilà ce qui reste pour moi !
La puissance qui crée, agit en combattant
Et ne craint ni le fouet, ni le feu ni le froid,
Le courage au combat qui
Mène vers une victoire prochaine
Et l’avenir reste pour moi !

Morris Vintchevski

 

 

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blog24_11_15_MG_0035b

 

Dans le fer, dans l’acier, glacé, dur et muet
Forge un cœur et qu’il soit le tien, homme et viens !
Viens dans la ville du massacre, il te faut voir
Avec tes yeux, éprouver de tes propres mains
Sur les grillages, les piquets, les portes et les murs,
Sur le pavé des rues, sur la pierre et le bois,
L’empreinte brune et desséchée du sang, de la cervelle,
Empreinte de tes frères, de leurs têtes, de leurs gorges.
Il te faut t’égarer au milieu des décombres,
Parmi les murs béants, leurs portes convulsées,
Parmi les poêles défoncés, les moitiés de chambres,
Les pierres noires dénudées, les briques à demi brûlées
Où la hache, le feu, le fer, sauvagement
Ont dansé hier en cadence à leurs noces de sang.
Et rampe parmi les greniers, parmi les toitures crevées,
Regarde bien, regarde à travers chaque brèche d’ombre
Car ce sont là des plaies vives, ouvertes, sombres
Et qui n’attendent plus du monde guérison.

Hayim Nahman Bialik

 

 

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blog25_11_15_MG_0037b

 

 

Écoute, fils d’Adam, ce que le chantre crie devant l’autel :
« Seigneur, agis pour ceux qui furent massacrés,
Pour les petits enfants, agis, et pour les sages. »
La foule à pleine voix multipliera le cri
Si bien que tous les murs et colonnes du temple
Avec toi trembleront de crainte.
Et je te prouverai ma cruauté,
Tu ne pleureras pas avec eux devant moi
Et si de toi devait s’élever une plainte
Je saurais l’étouffer entre tes dents.
Tu ne dois point comme eux pervertir le malheur.
Qu’il reste sans compassion dans les âges futurs;
Enfouis au fond de toi la larme non pleurée,
Mure-la dans ton cœur, et là bâtis pour elle
De haine, de colère et de fiel un bastion,
Et que grandisse en ce nid un reptile
Et que sans cesse l’un se nourrisse de l’autre,
Et que demeure pourtant en lui la faim, la soif,
Et quand viendra le jour du Jugement dernier
Casse ton cœur, libère le serpent, qu’il file furieux
Telle une flèche empoisonnée,
Mourant de faim, gonflé de son venin brûlant
Et du cœur de ton propre peuple.

 

Hayim Nahman Bialik

 

 

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blog1_12_15_MG_0036b

 

 

Et vous, vous êtes là, vous regardez,
Les mains immobiles,
Et vous, vous êtes là, vous regardez
Brûler notre ville…

 

Ça flambe, mes frères, ça flambe,
Il n’est de salut qu’en vous-mêmes,
Prenez les outils, éteignez le feu,
Éteignez-le de votre propre sang.
Vous le pouvez, alors prouvez-le !

 

Ne restez pas ainsi, frères, à regarder,
Les mains immobiles,
Frères, n’attendez pas, éteignez l’incendie
Qui brûle notre ville.

 

Mordehaï Gebirtig

 

 

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blog1_12_15_MG_0039c

 

J’ai vu la mort sur d’autres murs, sur les murs blancs,
A l’hôpital sur les draps frais couleur de givre,
Dans l’odeur blanche du formol qui nous rend ivres,
Dans le feu blanc d’un éclat froid et aveuglant.

De ses dents, jeunes dents, quand pour mes yeux sans tain
Encore elle brûlait, halo fait de souffrance
Et d’agonie – tant que la mort de sa balance
A déversé la cendre blanche sur mes mains.

Je vois partout la mort sur terre, depuis lors,
Dans ce qui vit en blanc : l’éveil blanc de la flore,
Dans le lait maternel et dans le jour lui-même,

Et même dans le sel qui donne au pain saveur,
Quand la neige à la terre attache un masque blême
Je ne vois sur son corps qu’un linceul de blancheur.

 

Many-Leib

 

 

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blog2_12_15_MG_0040b

 

 

Terrifiant silence
Qu’on ne peut endurer,
Douleur à ne pas dire
Plaie à ne pas montrer,
Comme harpes qui pendent
Muettes sur les branches
Quand dans les doigts se fendent
Les sanglots étranglés.

 

David Einhorn

 

 

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blog3_12_15_MG_0051

 

Douleurs, vous grandissez en moi, vous poussez haut, vous croissez, vous vous installez
mais pourquoi sans cesse creuser ?
Cherchez-vous à vous enraciner en moi ou au contraire à vous délivrer de ma chair ?
Ne vous arrachez pas de moi, douleurs ! Croissez, croissez en moi silencieusement,
Restez muettes, vous qui me faites mal, ô mes douleurs, vous qui êtes immenses

Itzhak Katzenelson

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blog4_12_15_MG_0048b

 

Éveille le prophète et contrains-le de coller sur son propre corps
La punaise jaune qui s’incruste – ainsi sur les enfants la teigne –
Qu’elle bouffe sur lui la bribe de peau que le labeur et l’écorchement daignent
Abandonner – il faut bien que reste un morceau dont puisse s’emparer la mort.

 

Moshe-Leib Halpern

 

 

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blog5_12_15_MG_0052

 

Et tandis que je reste ainsi – de mes tableaux
Descend vers moi le David peint, avec
Sa harpe à la main. Il veut
M’aider à pleurer, à jouer des versets
Des psaumes.
Et après lui descend notre Moïse,
Il dit : n’ayez peur de personne.
Il vous prescrit de reposer en paix
Jusqu’à ce qu’une fois encore il ait gravé
De nouvelles tables pour un nouveau monde.
L’ultime étincelle s’éteint,
Le dernier corps s’évanouit.
Tout se tait comme avant un nouveau déluge.
Je me lève et vous dis adieu,
Et je prends le chemin qui mène au nouveau Temple,
Et là j’allume une bougie
Pour votre image.

Marc Chagall

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blog6_12_15_MG_0049

 

Éteignez les feux, que tout s’obscurcisse,
En silence, assis.
Quelqu’un, je le sens – nul convoi funèbre –
Est mort par ici.

Par une fenêtre, à la dérobée,
L’ombre se faufile,
Et si nul n’est mort – bientôt, je le sais,
Quelqu’un va mourir.

Éteignez les feux, tous assis par terre,
De deuil habillés.
L’ombre qui revient n’est pas solitaire,
Mais va, dédoublée.

H. Leivick

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blog7_12_15_MG_0046

 

Silence et mort
Au fil des heures,
Qui va là ?
Rien, c’est moi.

Au milieu
De la route
Est-ce la mort ?
Non, personne.

Neige rouge,
Je suis blanc
J’ai pour mains
Des glaçons.

Tenterai-je
De marcher
Sur mes pieds
Et tout seul ?

Qui va là ?
Non, personne.
Faux, le bruit.
Faux, le pas.

Silence et mort
Au fil des heures,
Qui va là ?
Rien, c’est moi.

H. Leivick

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blog8_12_15_MG_0059b

 

Vie –
Étrave d’un vaisseau qui fend la mer,
La mort roule en tes profondeurs
Et s’évanouit.
Un clin d’œil :
Elle fut – elle a disparu.
C’est à peine si sa surface
Se courbe et se ride,
Creuse une vague sous le vent,
Un peu d’écume se disperse et meurt,
Puis de nouveau tes milliers de flux
Se gonflent,
Et de nouveau tes vagues font rumeur
De pleurs et de rires.

Louis Miller

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blog9_12_15_MG_0041c

 

Mon coeur, aïe do, do
Toi, mon coeur maudit
Poussiéreux rideau,
Tout est noir, terni.

C’est toi que je porte
Tremblant, par le monde.
Qu’ai-je donc volé ?
Je guette à la ronde.

Sur une clôture
Tu crèveras bientôt
Ah mon coeur maudit
Aïe, do, aïe, do do.

 

Zisho Landau

 

 

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blog10_12_15_MG_0056b

 

 

Meurs mon cri, meurs, car de toute manière
Des cieux tu ne seras même pas écouté.
Par la nuit la nouvelle lune fut pointée
Comme un couteau sur le cou de la terre.

S’étranglera bientôt soi-même le silence
Avec les aboiements exacerbés des chiens,
Mais la nuit ne cessera point ses violences
Et nul à mon aide ne vient.

Alors pour qui, pour qui tombe-t-on à présent,
Pour soi-même et pour vous faut-il demander grâce
Quand tremblantes d’effroi les étoiles se cachent
Dans les plis de fer du torrent ?

 

Aron Kushnirov

 

 

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blog11_12_15_MG_0050b

 

 

La mort russe est mort
De toutes les morts.
Peine russe est peine
De toutes les peines.

Plaie du monde à vif,
Comment va votre coeur à présent ?
Demande au petit enfant,
Demande à l’enfant juif.

 

Leib Kvitko

 

 

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blog12_12_15_MG_0060

 

 

Tel est l’ordre
Maintenant des jours et des nuits
On vous crie : c’est permis,
Il doit en être ainsi
Mais bien souvent nous pleurons de douleur
Pourquoi doit-il en être ainsi ?

 

Zisho Weinper

 

 

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blog13_12_15_MG_0064b

 

La mort c’est la dépouille un soir d’automne
D’un enfant de sept jours
Dans sa caisse clouée, longue de dix-huit pouces,
Portée dévotement par sa grand-mère
A travers champs jusqu’au paisible cimetière
Où la pluie fait tinter sur les tombes
Son cantique du cœur.

 

Melech Ravitch

 

 

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blog14_12_15_MG_0498

 

 

Sur les visages gémira
L’orage de ce qui fut,
Une nuée de l’advenu.
Un enfant nouveau venu
Triste sera nimbé de ce qui est perdu,
Et pleurera ce qui a disparu.

 

 

Aaron Lutski

 

 

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blog15_12_15_MG_0495

 

 

Ma vie, sous le poids des années dévale la pente,
Bien que j’étende vers le haut mes ailes-songes,
Mon corps hélas est racorni par tant de jours sauvages,
Quand s’enfièvre mon sang au milieu de la nuit ;
Et j’aperçois ma silhouette, elle est devenue orpheline,
Un labyrinthe éventré, dévasté
De jours hurlant sans fin et de nuits d’épouvante.

 

 

Uri-Zvi Grinberg

 

 

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blog16_12_15_MG_0492

 

Mes chants se font plus clairs, spirituels,
Me fuit le rayon de lumière.
Mes chants guerriers poursuivent leurs duels
Et moi, vaincue, je tombe à terre.

Le vent sur les vitres
Et moi j’oublierai
Que vaincue je tombe.

 

Katia Molodowski

 

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blog18_12_15_MG_0501b

Eh eh eho frère
Le miel et la bière
La chanson, la chair
L’écho de l’orchestre

Le vin et la mort
Ça se sent, s’entend,
Que ça coule alors
Sur les cœurs battants.

Et que ça éclate,
Qu’on puisse à pleins bras,
Plus tôt ou plus tard
On arrachera !

Une corde fine
Un piquet de bois,
Sur une échine
La mort s’assoit !

 

Peretz Markish

 

 

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blog19_12_15_MG_0496b

 

 

La nuit. Un bistro de Wedding.
Quatre légères silhouettes
Affalées sur un banc de chêne.
En nœud papillon et manchettes
Parle Childe-harold : « Camarades,
La bonté toujours est en l’homme,
L’homme, il est vrai, verse son sang
Et devra le répandre encore.
Alors buvons, car il faut boire,
Et disons silencieusement
Que l’homme commence à pourir
Et qu’il pue avant d’être mort ! ».

 

Moshe Kulbak

 

 

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blog20_12_15_DSC0753b

 

Tu regrettes de n’avoir pu qu’entrevoir
Tant de couchers de soleil
Et des fleurs, des arbres, des herbes.
Crissent en toi les épines du chant
Tu foules la vie comme verre
Et les ombres pour toi prennent un sens profond.
Tu reçois un sourire froid comme une offrande
Et tu deviens avare
De la divine profusion du temps.

 

Jacob Glatstein

 

 

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blog21_12_15_DSC0758

 

Les ans l’un sur l’autre ont roulé
Et les fosses furent comblées,
Et plus rouge encore est l’argile
A présent mon seul domicile,
C’est là-bas que gisent mes frères,
Ceux dont on déchira les chairs,
Ceux dans leur chambre assassinés
Devant leur fosse fusillés.

 

Shmuel Halkin

 

 

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blog22_12_15_DSC0745

 

Ici, durement j’ai souffert
Et là, profondément aimé,
Tous les pays dans mes trèfonds
Leurs tempêtes, leur mois de mai,
Le Mississippi là-bas qui gronde,
Rêvent le Danube et le Nil,
Ma petite sœur l’infusoire,
Le Hottentot mon frère noir,
Ils me conduisent tous ensemble
Me pressent vers la délivrance
De ma réincarnation : Dieu.

 

Aron Zeitlin

 

 

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blog23_12_15_DSC0752

 

Un son transporte un autre son
Et l’on dirait que les étoiles
Tintent soudain en mille éclats,
Poussière de sons qui s’efface,
Se dissout, demeure inouïe,
Et morte pour l’oreille
Les cloches de Jérusalem
Jouent la Marche funèbre de Chopin.

 

Joseph Papiernikov

 

 

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blog24_12_15_DSC0751

 

Dieu donne-moi la paix du visage d’un mort
Avec ses dents serrées et ses yeux sans lumière
Et le dernier sourire à sa bouche gelée.

Dieu donne-moi la paix d’une idole muette
Fixant le monde avec les yeux glauques des bêtes
Quand le monde qui se lamente est à genoux.

 

Israël Rabon

 

 

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blog25_12_15_DSC0754

 

 

Pleure l’homme nu : – où que j’aille et fuie
Je suis aussi seul que la pluie.

En haut des monts scintille l’hôpital
Et sept bouleaux s’éteignent dans le val.

 

Itsik Manguer

 

 

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blog26_12_15_DSC0759

 

Un arbre gronde.
Ame tranquille. Temps du songe.
L’éternité tisse à présent ses lueurs, ses couleurs.
Mais plus profond en moi, à haute voix sanglote
Toute la peur de se faner et de mourir.

 

Itsik Manguer

 

 

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blog26_12_15_DSC0747

 

 

Je resterai pendu jusqu’au lever du jour,
Quand se couronnent d’or les saules nains,
Les agneaux noirs pour moi diront Kaddish
Et pleureront sur moi les chèvres blanches.

 

 

Elhonen Vogler

 

 

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blog28_12_15_DSC0744b

 

Une mélancolie muette autour de nous,
Dans un coin nous épie une nuit-araignée
Et les ombres s’en vont, craintives,
Au seuil du Jugement dernier.

David Sfard

 

 

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Les poèmes sont tirés de « Anthologie de la poésie Yiddish », Poésie – Gallimard

Les cimetières sont ceux de Lourmarin, Bonifacio et Saint-Chaffrey (05).

 

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