Les fleurs de mon jardin

 

En ces heures de soirs et de brumes ployés
Sur des fleuves partis vers des fleuves sans bornes,
Si mornement tristes contre les quais si mornes,
Luisent encor des flots comme des yeux broyés.

Comme des yeux broyés luisent des flots encor,
Tandis qu’aux poteaux noirs des ponts, barrant les hâvres,
Quels heurts mous et pourris d’abandonnés cadavres
Et de sabords de bateaux morts au Nord ?

La brume est fauve et pleut dans l’air rayé,
La brume en drapeaux morts pend sur la cité morte ;
Quelque chose s’en va du ciel, que l’on emporte,
Lamentable, comme un soleil noyé.

Des tours, immensément des tours, avec des voix de glas,
Pour ceux du lendemain qui s’en iront en terre,
Lèvent leur vieux grand deuil de granit solitaire,
Nocturnement, par au-dessus des toits en tas.

Et des vaisseaux s’en vont, sans même, un paraphe d’éclair,
Tels des cercueils, par ces vides de brouillard rouge,
Sans même un cri de gouvernail qui bouge
Et tourne, au long des chemins d’eau, qu’ils tracent vers la mer.

Et si vers leurs départs, les vieux môles tendent des bras,
Avec au bout des croix emblématiques,
Par à travers l’embu des quais hiératiques,
Les christs implorateurs et doux ne se voient pas :

La brume en drapeaux morts plombe la cité morte,
En cette fin de jour et de soir reployé,
Et du ciel noir, comme un soleil noyé,
Lamentable, c’est tout mon cœur que l’on emporte.

Émile Verhaeren

 

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Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage,
Traversé çà et là par de brillants soleils ;
Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,
Qu’il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.

Voilà que j’ai touché l’automne des idées,
Et qu’il faut employer la pelle et les râteaux
Pour rassembler à neuf les terres inondées,
Où l’eau creuse des trous grands comme des tombeaux.

Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve
Trouveront dans ce sol lavé comme une grève
Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ?

– Ô douleur ! ô douleur ! Le Temps mange la vie,
Et l’obscur Ennemi qui nous ronge le coeur
Du sang que nous perdons croît et se fortifie !

Baudelaire

 

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Encore ?

Encore des fleurs, encore des pas et des phrases autour des fleurs, et qui plus est, toujours à peu près les mêmes pas, les mêmes phrases ?

Mais je n’y puis rien : parce que celles-ci étaient parmi les plus communes, les plus basses, poussant à ras de terre, leur secret me semblait plus indéchiffrable que les autres, plus précieux, plus nécessaire.

Je recommence, parce que ça a recommencé : l’émerveillement, l’étonnement, la perplexité ; la gratitude, aussi.

Philippe Jaccottet

 

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Toute fleur n’est que de la nuit
qui feint de s’être rapprochée

Mais là d’où son parfum s’élève
je ne puis espérer entrer
c’est pourquoi tant il me trouble
et me fait si longtemps veiller
devant cette porte fermée

Toute couleur, toute vie
naît d’où le regard s’arrête

Ce monde n’est que la crête
d’un invisible incendie

Philippe Jaccottet

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Soulève ta paupière close
Qu’effleure un songe virginal ;
Je suis le spectre d’une rose
Que tu portais hier au bal.
Tu me pris encore emperlée
Des pleurs d’argent de l’arrosoir,
Et parmi la fête étoilée
Tu me promenas tout le soir.

Ô toi qui de ma mort fus cause,
Sans que tu puisses le chasser,
Toute la nuit mon spectre rose
À ton chevet viendra danser.
Mais ne crains rien, je ne réclame
Ni messe ni De Profundis ;
Ce léger parfum est mon âme,
Et j’arrive du paradis.

Mon destin fut digne d’envie :
Pour avoir un trépas si beau
Plus d’un aurait donné sa vie,
Car j’ai ta gorge pour tombeau,
Et sur l’albâtre où je repose
Un poète avec un baiser
Ecrivit : Ci-gît une rose
Que tous les rois vont jalouser.

Théophile Gautier

 

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On est bien peu de chose
Et mon amie la rose
Me l’a dit ce matin

À l’aurore je suis née
Baptisée de rosée
Je me suis épanouie
Heureuse et amoureuse
Aux rayons du soleil
Me suis fermée la nuit
Me suis réveillée vieille

Pourtant j’étais très belle
Oui j’étais la plus belle
Des fleurs de ton jardin

On est bien peu de chose
Et mon amie la rose
Me l’a dit ce matin

Vois le dieu qui m’a faite
Me fait courber la tête
Et je sens que je tombe
Et je sens que je tombe
Mon cœur est presque nu
J’ai le pied dans la tombe
Déjà je ne suis plus

Tu m’admirais hier
Et je serai poussière
Pour toujours demain

On est bien peu de chose
Et mon amie la rose
Est morte ce matin

La lune cette nuit
À veillé mon amie
Moi en rêve j’ai vu
Éblouissante et nue
Son âme qui dansait
Bien au-delà des nues
Et qui me souriait

Crois celui qui peut croire
Moi, j’ai besoin d’espoir
Sinon je ne suis rien

Ou bien si peu de chose
C’est mon amie la rose
Qui l’a dit hier matin

Françoise Hardy

 

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