Grosse mer – 4

 

Bah! c’était la tempête; et toujours trop de toile!
On serre les huniers, on cargue la grand’voile;
Enfin le loup de mer prend ses précautions.
Mais le navire était trop vieux, et nous dansions,
Mes enfants, que le diable en aurait pris les armes.
On travaillait, malgré l’orage et ses vacarmes;
Mais quand on eut de l’eau plein la cale, il fallut
S’occuper promptement des moyens de salut.
Harassés, aveuglés, trempés comme une soupe,
Pour la mettre à la mer nous parions la chaloupe,
Quand tout à coup, et sans nous demander conseil,
Voilà le pont qui crève avec un bruit pareil
Au fracas d’un vaisseau qui lâche sa bordée.
Nous coulions.

On ne peut pas se faire une idée
De l’émoi que vous cause un de ces plongeons-là.
Moi, pendant la minute où le bateau coula
En tournant sur lui-même avec un air stupide,
Je revis mon passé dans un éclair rapide;
Oui, tout, notre vieux port, ses mâts et son clocher,
Et la plage où j’allais, pieds nus, sur le rocher,
Et le sable semé de méduses vermeilles…

François Coppée

 

 

__________

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

  ×  quatre  =  8