Une promenade au jardin des Plantes – 10

 

 

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La femme s’abattit comme un ressort qui casse ;
Lui, resta sans comprendre et l’attendit, debout,
Inquiet, la croyant seulement un peu lasse,
Car sa robe tremblait toujours. Puis tout à coup
L’épouvante lui vint ainsi qu’une bourrasque.
Il se pencha, lui prit les bras, et d’un effort
Terrible, il la leva, quoiqu’il fût très peu fort.
Mais tout son pauvre corps pendait, sinistre et flasque
Il vit qu’elle étouffait et qu’elle allait mourir,
Et pour chercher de l’aide il se mit à courir
Avec de petits bonds effrayants et grotesques,
Décrivant, sans la main qui lui servait d’appui,
Au galop saccadé par son bâton conduit,
Des chemins compliqués comme des arabesques.
Son souffle était rapide et dur comme une toux.
Mais il sentit fléchir sa jambe vacillante,
Si molle qu’il semblait danser sur ses genoux.
Il heurtait aux troncs noirs sa course sautillante,
Et les arbres jouaient avec lui, le poussant,
Le rejetant de l’un à l’autre et paraissant
S’amuser lâchement avec cette agonie.
Il comprit que la lutte horrible était finie,
Et, comme un naufragé qui se noie, il jeta
Un petit cri plaintif en tombant sur la face.
Faible gémissement qu’aucun vent n’emporta !
Il entendit encor, quelque part dans l’espace,
Les long croassements lugubres d’un corbeau
Mêlés aux sons lointains d’une cloche cassée.
Et puis tout bruit cessa. L’ombre épaisse et glacée
S’appesantit sur eux, lourde comme un tombeau.

Maupassant

 

 

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