Marée basse – la cassette

 

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Inlassablement , elle répétait les choses que nous n’entendions pas. Qu’elle avait chanté ici et là, qu’elle avait dansé, qu’un jour elle y avait mis tant d’entrain qu’elle avait cassé son talon. Qu’un jour une cousine était tombée chez des amis à Paris, sur une carte postale d’elle, en bretonne. Mon père répétait à quel point elle avait été jeune, belle, mince, vive… « Quand tu chanteras aussi bien que ta mère tu pourras critiquer ! » Comme s‘il était besoin de raisons pour critiquer sa mère !
C’est vrai qu’à la fin des repas de famille elle poussait toujours sa chanson : la Chanson des Blés d’or, Ma Douce entend l’oiseau. C’est vrai qu’on entendait son chant, comme le numéro attendu d’un artiste de music-hall, une rengaine. Qu’on écoutait en guettant cependant son charmant timbre de voix. Mais c’est tout. On n’allait pas en faire un plat.
Nous vidions la maison qui avait été vendue. Nous en étions au meuble de la salle à manger : boites de DVD et cassettes… Celle-ci sans aucune indication.
Avant de la jeter, nous l’avons placée dans le lecteur de cassettes. Et comme dans les films, il y a eu sa voix, l’harmonie de sa voix, sa douceur, sa sensualité, ses silences, sa diction parfaite, et ce ton juste qui ne m’avait jamais frappée… 24 chansons…
Vint Noël… Nous avions dispersé en mer les cendres de mon père. J’accomplis un autre rituel : envoyer – toutes ondes dehors – la voix de ma mère, chantant sa plus belle balade, aux quatre coins du monde : à New-York et Seattle, dans le Colorado, à Johannesburg, au Groënland, en Allemagne et en Russie, jusqu’à Cayenne… aux amis et aux connaissances… Et ceux qui ne la connaissaient pas aimèrent son chant.

 

 

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